27 mai 2015
Côte d’Ivoire : l’oral du Bac, c’est le soleil des enseignants
Au pays de Didier Drogba, l’oral du baccalauréat se résume bien souvent en une métaphore footballistique: Chelsea ou Liverpool? Et pourtant Moussa était All black.
La nuit était encore éveillée et le soleil semblait s’être oublié à dormir jusqu’à cette heure-ci. Moussa, lui dormait encore. Lorsque l’aube avait frappé à sa porte, heureusement que sa mère avait veillé au grain. Elle savait que Moussa s’abandonnait très facilement au sommeil comme un Peul entre les mains d’une gamine, capable qu’il est de lui promettre du lait de moustique en plus de celui de ses vaches. Ah les Peuls et leur histoire de lait!
-Moussa… Moussa, tu composes le Bac ce matin non. Il est 7 heures, tu es en retard dèh, avait lancé sa mère.-Encore eux les fils et filles de chiens! ah le soleil des indépendances! avait dit Moussa en sursautant de son lit, avec les paupières encore lourdes.
Parler d’indépendance à sa mère. De chiens! Elle sa mère était une chienne, c’est ainsi qu’elle le comprenait. Voici que Moussa n’avait même pas encore eu son Bac qu’il se croyait déjà indépendant tel un fama (roi) et qu’il la traitait depuis de chienne. A ces mots, la maman de Moussa se mit à pleurer toutes les vieilles larmes de son corps rongé par l’arthrose. A vrai dire, aucune larme ne sortait de ses yeux, mais elle pleurait quand même parce que les grandes douleurs sont muettes. Et l’écho de sa voix se faisait entendre, comme tantie Affoué, ce jour-là où son mari furieux l’avait insultée dans la langue du colon. Il avait osé la traiter de » good morning,wife,afternoon ». Certes, elle n’avait jamais compris ce que son mari lui avait dit, mais simplement elle savait que c’était plus grave que quand un enfant dit à un autre » ta maman « . Fallait seulement voir le débit de ses lèvres lorsqu’il la lapidait de » toutes ces injures ». Jamais tantie Affoué n’avait pardonné tout ça à son époux jusqu’à sa mort si récente. Elle en était d’ailleurs morte il paraît.
-maman, maman… bredouilla Moussa ne sachant plus quoi dire. Non ! maman, je récitais par réflexe mon texte de l’oral tiré du « soleil des indépendances d’ Ahmadou Kourouma. Il ne s’agissait pas de toi. Excuse- moi maman. Donne-moi ta bénédiction je suis en retard mère.
En effet Moussa connaissait son texte. Il l’avait appris par cœur, par poumon, il était sûr de lui. Son arrivée dans la cour de l’école coïncida avec l’appel de son nom. Allah soit loué! Moussa se dirigea vers l’examinatrice. Il choisit son texte, y déchiffra toutes les figures de rhétorique.
-De quoi parle le texte? dit l’examinatrice
Moussa se pencha d’abord, prit un accent grave comme s’il s’apprêtait à présenter le JT de 20 heures.
-Ce texte à la fois tragique, dramatique et sarcastique parle » des soleils des indépendances « . Une métaphore linguistique pour parler de l’époque des indépendances, qui comme » une nuée de sauterelles tomba sur l’Afrique « , laissant Fama sans le moindre sou.-Ah ok, mon petit écoute einh, on va parler terre à terre pour que tu me comprennes bien. On va parler de ce qui est réel au lieu que tu m’emmerdes avec les soi-disant soleils des indépendances, comme si tu avais déjà vu briller même en plein harmattan deux soleils dans le ciel abidjanais. Écoute bien dèh, moi-kè, je suis enseignante du privé, est ce que tu comprends même? Et les vacances arrivent aussi comme une nuée d’ennuis, et vont certainement me laisser avec moins de sous que ton bordélique de fama-là. Les soleils des indépendances! les soleils des indépendances! Depuis quand tu a vu deux soleils? ça c’est Ahmadou Kourouma. Ici l’auteur c’est moi et l’œuvre c’est le soleil des enseignants! autant dire une métaphore bien financière pour te dire que l’oral c’est la période des enseignants. Eh!Eh! parle français tu vas partir einh. En résumé: Chelsea ou Liverpool?
Moussa était confus. Il n’avait toujours pas cerné l’idée générale de l’examinatrice. En effet, Moussa comprenait très vite, mais fallait beaucoup lui expliquer. La tête de Moussa était comme le sac à main d’une demoiselle. Petit, mais profond! rempli de tout et de rien. Et pourtant Moussa avait préparé cet oral. Il avait tout pris tout appris, sauf ça: Chelsea ou Liverpool? Et puis, il n’aimait pas trop le football. Encore moins Chelsea ou Liverpool. Son équipe à lui c’était plus la Nouvelle-Zélande, avec son fameux haka. Sans même s’en rendre compte, Moussa lança à la face de l’examinatrice :
-Moi je suis ni Chelsea ni Liverpool. Je ne suis pas une mauviette, je suis All black(le surnom de l’équipe néozélandaise).-Imbécile, je vois bien que tu es noir, même d’un noir calciné. All black! all black! Mais oh depuis quand on joue au rugby à Abidjan? Et puis dis-moi même, toi oh, as tu déjà vu un billet de banque noir? Sorcier, c’est ton Bac que je vais noircir de suite. Tu es vraiment un Ivoirien parce que tuivois rien vraiment. Je vais t’aider alors: comment appelle-t-on encore les équipes de Chelsea et celle de Liverpool?– Les princes de Standford bridgent pour Chelsea et…
L’examinatrice coupa Moussa net.
-Imbécile ta petite tête bridge wèh. Et puis oh tu n’as aucune culture générale quoi! Tu n’as jamais entendu parler des blues de Chelsea et des reds de Liverpool! All black! all black! comme si tu avais déjà vu un billet de banque black! sorcier! tous les sorciers sont pas au village einh.-anhannn!!! madame je comprends maintenant, dit Moussa
Chelsea ou Liverpool ?
Quand un Africain dit anhann c’est qu’il a tout compris. Moussa avait enfin compris la métaphore de l’examinatrice. il savait que tout se jouait dans sa poche, Chelsea et Liverpool s’y trouvaient . Il y mit sa main, retira ce qu’il y avait. Il ne lui restait que deux billets de banque. L’un bleu celui de 2 000 francs CFA, l’autre rouge celui de 1 000 francs CFA. C’était tout ce que maman lui avait remis pour toute la période des examens.
L’examinatrice répéta de nouveau : alors Chelsea ou Liverpool?
Moussa lui tendit le billet de 1000 franc. Elle s’empressa de jeter une œillade à la porte avant de tirer le billet des mains de Moussa, avant d’ajouter alors:
-petit c’est vrai que 1 est mieux que zéro einh (avoir 1000 francs est mieux que ne rien avoir), mais est- ce que toi même tu es Ivoirien?-bien sûr que oui madame– non ça m’étonne, toi, tu n’es pas Ivoirien, même pas Africain même. Dis-moi, tu as choisi Liverpool non! mais tu connais quel Ivoirien qui joue là-bas? C’est-à-dire toi, tu laisses ton compatriote Didier Drogba dit dayiizogo dit gbagbadè, l’enfant de niapraho qui joue à Chelsea et tu prends Liverpool! Et tu mets Chelsea (le billet de 2 000f) volontairement dans ta poche! C’est même pas toi oh! walaye c’est pas toi dèh! et c’est toi tu viens me parler ici »des soleils des indépendances » d’Ahmadou Kourouma! Alors que toi-même, c’est les Blancs que tu choisis. C’est pas la négritude: les Noirs n’aiment pas les Noirs! Tu mérites pas plus que 10/20 , parce qu’en 2015, là tu peux pas parier sur Liverpool, laisser Chelsea et espérer remporter la champions league. Allez sors. Au prochain.
Ah ainsi va l’école ivoirienne sous le soleil des indépendances et celui des enseignants; deux soleils dans un même ciel au-dessus de nos pauvres têtes. Alors Liverpool ou Chelsea? Gbès est mieux que dra.
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